La rencontre avec Slama a été un moment important lors de mon premier passage à Tighmart en 2018. Je m’interrogeai quant à ma place en tant qu’artiste dans cette résidence. Que pouvais-je bien apporter aux habitants de la palmeraie ? Mes recherches étaient axées sur la question de l’esclavage transsaharien, un sujet qui restait sensible. Je voulais observer et mener des entretiens à partir de rencontres avec les oasiens. Un groupe de jeunes hommes nous a été présenté pour accompagner l’ensemble des artistes de la résidence dans leurs recherches et leur faciliter les accès aux différents lieux de la palmeraie et aux oasiens.
Mais aussi pour nous permettre la mise en place d’ateliers. Ahmed, Abderrahmane, Hamza, Slama et d’autres nous ont accompagnés dès notre arrivée. Lors d’une de nos conversations, Slama m’a appris qu’il souhaitait quitter sa ville Guelmim pour rejoindre l’Europe. C’était la première fois que je me retrouvais face à quelqu’un qui était aussi déterminé et qui était prêt à prendre des risques au péril de sa vie.
« Pourquoi veux-tu partir, alors que je t’ai vu partager avec nous une si grande connaissance de ton environnement et un grand plaisir à vivre dans ces lieux ? »J’avais eu l’occasion de l’observer lors de différents moments de cette résidence. Il me répond : « Je souhaite partir en Europe pour réaliser mon rêve. Mon père a une terre près d’ici. Et je souhaiterais la cultiver. Et pour cela il me faut de l’argent pour creuser un puit ». Nous avons longuement échangé sur son rêve. Au bout de quelques jours, je suis revenue vers lui avec une proposition. J’étais disposée à lui prêter l’argent pour trouver de l’eau pour son projet de culture. En échange, il devait me promettre de renoncer à son départ. Pour ne pas le mettre en surendettement, je lui ai proposé de me rembourser s’il réussissait à réaliser son rêve. Mais j’avais conscience que s’il ne trouvait pas d’eau, son rêve serait brisé avec une dette non remboursable.
Pour éviter le sentiment d’échec et de le voir partir périr en mer, je lui ai proposé de venir travailler quelques mois à Fès. Je n’avais pas vraiment de travail pour lui, mais je ne voulais pas le laisser sans recours face à un échec. Habitant à Guelmim, je voulais aussi qu’il découvre une autre ville et que son rapport aux habitants de cette ville puisse se modifier par une expérience réelle. C’est ainsi que notre accord fut conclu. Nous avons continué nos échanges par messages audios. Jusqu’au jour du 1er forage qui lui a permis de trouver de l’eau.
Malheureusement, le forage à 20m de profondeur n’avait pas atteint la nappe phréatique. Il a fallu qu’il cherche d’autres financements pour poursuivre son rêve. Son énergie pour réaliser son projet était incroyable…
Consciente de l’importance écologique de la question de l’eau dans un environnement semi-désertique, j’ai invité Slama à me rejoindre au festival M’Hamid Rislan, une autre palmeraie où j’avais repéré le travail de Madani Hanana sur l’agriculture biologique en lien avec la lutte contre la désertification (voir ici : https://www.facebook.com/osvchezmadani/)
Cette aventure était si remarquable que j’avais envie de la poursuivre avec d’autres. J’ai proposé aux organisateurs de la caravane de réfléchir à une suite possible. Si Slama réussissait à rembourser sa dette, il pourrait mettre à son tour cet argent à la disposition d’autres habitants pour les soutenir dans leurs projets dans leurs régions.
Au cours de cette résidence j’ai réalisé des entretiens auprès des habitants de Tighmart. Il m’a fallu y retourner pour poursuivre ma recherche l’année suivante.